Türkiye-Syrie : Remédier aux catastrophes naturelles et d’origine humaine

HIC-HLRN est profondément attristé par les destructions massives et étendues, la perte de dizaines de milliers de vies, et le déplacement, la dépossession et le sans-abrisme de millions de personnes par deux séismes dévastateurs de magnitude 7,8 et 7,5 Mw qui ont frappé le sud-est de la Türkiye et le nord-ouest de la Syrie aux premières heures du lundi matin le 6 février 2023. Deux semaines plus tard, un séisme de magnitude 6,3 a frappé la même région le 20 février.

Les destructions qui ont suivi ont fait au moins 50.420 morts et plus de 108.600 blessés au moment de la rédaction de ce rapport. Les tremblements de terre du 6 février ont touché dix provinces voisines en Turquie,[*] et ont fait plus de 6 680 morts et 14 500 blessés dans six zones touchées en Syrie.[†] Les rapports indiquent que plus de 47 000 bâtiments se sont effondrés, ou sont fortement endommagés à travers dix provinces en Turquie, tandis que plus de 9 000 bâtiments ont été complètement ou partiellement détruits en Syrie, laissant au moins 11 000 familles sans abri rien qu’à Harim et Afrin. On estime que 5,3 millions de personnes en Syrie pourraient être touchées et avoir besoin d’une aide à l’hébergement dans tout le pays.

Ce réseau de défenseurs du droit au logement et à la terre salue les nombreuses organisations humanitaires, les travailleurs et les bénévoles qui se démènent depuis des jours pour secourir les victimes contre tant d’obstacles. Dans ce désastre aigu, HIC-HLRN exprime également sa profonde inquiétude quant aux conditions compliquées d’acheminement de l’aide à la population assiégée de Syrie, déjà confrontée à des défis humanitaires massifs dans les zones non contrôlées par le gouvernement.

Des décennies d’intransigeance politique de la part des régimes turc et syrien ont fait passer les intérêts politiques et autoritaires avant la sécurité humaine et les mesures préventives, ainsi que l’aide humanitaire et les secours d’urgence. L’ampleur de la catastrophe actuelle est en grande partie le résultat des politiques néolibérales et politiquement népotiques et d’autres formes de corruption des deux régimes. La dévastation met également en évidence la négligence et le conflit de longue date dans les régions kurdes et les zones contrôlées par d’autres groupes rebelles et d’opposition. En outre, les sanctions imposées de longue date par l’Union européenne et les États-Unis contre la Syrie ont eu un effet cumulatif. La portée internationale du régime de sanctions américain en vertu de la loi Caesar sur la protection des civils en Syrie, bien que temporairement suspendue, a entravé l’aide aux victimes du séisme syrien.

Jusqu’à présent, aucun équipement lourd, aucun expert international en matière de secours ni aucun carburant n’a franchi la frontière turque pour entrer en Syrie. L’accès humanitaire depuis les zones contrôlées par le gouvernement syrien a été lent et/ou bloqué par le régime d’Al-Asad. Bien qu’Al-Asad ait ouvert deux points de passage supplémentaires vers la région touchée, de nombreux habitants de la zone du séisme sont sceptiques quant à ses motivations et soupçonnent qu’il utilisera la situation pour consolider son régime détesté sur la région.

HIC-HLRN s’inquiète également du traitement constamment inéquitable des territoires à majorité kurde dans la région. Ce sont également ces territoires qui ont accueilli des millions de réfugiés syriens, dont beaucoup ont été relogés dans des appartements construits à la hâte et non homologués, exemptés des normes de sécurité antisismiques, et soumis à la corruption des fonctionnaires et à une mauvaise application des réglementations qui ont mis les gens en danger. Le boom de la construction dans de nombreux centres urbains en Turquie a suivi la destruction par l’armée de plus de 3.500 villages kurdes dans les zones rurales du sud-est de la Turquie entre 1991 et 1996.

Les villes à majorité kurde comme Diyarbakır, en Anatolie orientale, ont connu des périodes d’affrontements entre les forces turques et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), notamment depuis l’échec du cessez-le-feu fin 2015. Les assauts du gouvernement turc qui s’ensuivent contre les centres-villes à majorité kurde ont donné lieu à des violations flagrantes des droits humains qui ont vu des quartiers entiers être démolis, confisqués par le gouvernement central et reconstruits pour des profiteurs, sans tenir compte de la spécificité culturelle locale, des droits au logement et à la propriété, ni des mesures nécessaires pour minimiser les risques en matière d’urbanisme, de bâtiments de faible hauteur, de codes de construction et d’application des normes existantes.

En Turquie, une récente amnistie gouvernementale a exonéré les constructeurs de millions de structures illégales jusqu’en 2019, malgré les avertissements des experts sur les risques sismiques actuels et imminents. Les responsables du Parti de la justice et du développement (AKP) sont donc responsables des violations par commission et par omission qui ont causé le nombre élevé de décès et de destructions causés par les tremblements de terre. En outre, l’administration du président Erdoğan a été sévèrement critiquée pour la mise en œuvre “tardive, incomplète ou défectueuse” des efforts de recherche et de sauvetage.

Les processus de développement et d’urbanisation précipités et mal planifiés caractérisent l’ensemble de la région. Ces mauvaises performances en matière de développement ont notamment persécuté les communautés vulnérables et minoritaires, soumettant des millions de personnes à des risques environnementaux.

L’Union des barreaux turcs a décrit cette négligence comme un crime passible de poursuites judiciaires perpétré par des entrepreneurs sans scrupules et par les autorités et praticiens locaux qui ont préparé des plans, projets et conceptions architecturaux, statiques et autres pour ces bâtiments. Cette responsabilité s’étend aux fonctionnaires qui ont délivré des permis de zonage et d’occupation pour ces structures dangereuses, aux fonctionnaires municipaux qui n’ont pas procédé à des inspections efficaces et aux fonctionnaires du ministère qui ont négligé de veiller à ce que les inspections soient correctement effectuées. Et ce, malgré les leçons tirées du tremblement de terre de Marmara de 1999 dans l’ouest de la Turquie, qui a révélé la corruption des constructions utilisant des matériaux de qualité inférieure, ainsi que l’amélioration ultérieure des codes de construction.

HIC-HLRN salue également les efforts déployés par les autorités et les gouvernements locaux pour répondre héroïquement à cette nouvelle crise et satisfaire les besoins matériels et psychosociaux essentiels des victimes du séisme. Ironiquement, le gouvernement central a également émis des mandats d’arrêt contre plus de 100 personnes dans les dix provinces touchées par le séisme, le ministère de la Justice ayant ordonné aux fonctionnaires de ces provinces de créer des “unités d’enquête sur les crimes liés au séisme“.

Les appels de HIC-HLRN

HIC-HLRN appelle les gouvernements turc et syrien, ainsi que les groupes rebelles qui contrôlent effectivement les zones de conflit dans le nord-ouest de la Syrie, à assumer leurs responsabilités envers les victimes du tremblement de terre :

  • Fournir et faciliter la fourniture de l’aide d’urgence et des efforts de secours en tant que première priorité pour répondre aux besoins immédiats et aux moyens de subsistance des populations touchées ;
  • Aider les communautés touchées à répondre aux besoins essentiels, notamment en matière de nourriture, d’abris et d’articles ménagers, des personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) et des communautés d’accueil ;
  • Fournir des services de santé physique et psychologique d’urgence et continus ;
  • Poursuivre toutes les parties responsables de l’évasion ou de la violation des codes de construction antisismiques dans la juridiction des États ;
  • Éviter toute forme de discrimination fondée sur l’appartenance ethnique, le sexe ou l’affiliation politique dans la fourniture d’aide ou de sécurité d’occupation aux victimes du tremblement de terre ;
  • Réformer d’urgence les politiques d’urbanisation et d’aménagement du territoire afin d’éliminer la discrimination institutionnalisée et matérielle fondée sur l’ethnie, le sexe ou l’appartenance politique, ainsi que toutes les autres formes de corruption financière et politique.
  • Appliquer désormais scrupuleusement les codes de construction antisismique et les normes d’urbanisme.

Nous appelons également toutes les parties internationales, y compris les organismes caritatifs et de développement, ainsi que les personnes concernées, à :

  • Contribuer généreusement aux efforts de redressement des acteurs locaux, en particulier, pour fournir une aide d’urgence alignée sur les objectifs de développement à plus long terme dans le cadre général des droits de l’homme, notamment,
  • Appliquer scrupuleusement les critères du droit de l’homme à un logement adéquat dans toutes les mesures immédiates et à plus long terme pour abriter et reloger les personnes touchées par les tremblements de terre.

[*] Adıyaman, Kilis, Osmaniye, Gaziantep, Malatya, ainsi que Şanlıurfa, Diyarbakır, Adana et Hatay, Elazığ.

[†] Gouvernorats d’Alep, Idlib, Lattaquié, Tartous, Homs et Hama.