Chine, Jeux Olympiques “M. Li et M. Zao inconnus à leurs adresses

Ce jour-là, deux Pékin se côtoyaient sans se voir : euphorie pour les uns, amertume pour les autres. Sous le bourdonnement lancinant d’un hélicoptère de surveillance, bravant la chaleur de l’été pékinois, la foule des grands jours était au rendez-vous pour voir passer le cortège de la flamme olympique à la veille de l’ouverture des Jeux : vivats, cris de “en avant la Chine !”, les gens agitaient les drapeaux rouges de la République populaire. Certains, tels des supporteurs de foot, s’étaient collé sur les pommettes des stickers de l’emblème national.

La scène se passait dans le quartier de Qianmen, au sud de la place de la Porte de la paix céleste, Tiananmen. Un quartier chargé d’histoire où, durant le règne de la dynastie mandchoue des Qing, le peuple venait s’encanailler dans salles de jeux et bordels de cet antre des plaisirs de Pékin. Un quartier déjà en partie détruit et dont la rénovation annoncée transformera Qianmen en un alignement de boutiques de luxe au style “ancien”. La perspective attise l’hostilité des Pékinois forcés de quitter leurs vieilles habitations. En échange d’insuffisantes compensations.

Alors que la flamme “sacrée” progressait bruyamment à deux pas de là, une trentaine de futurs expulsés ont improvisé ce jour-là une manifestation. Elle a fait long feu, les organisateurs ayant promptement été emmenés par des policiers en civils.

A l’est du quartier, là où les destructions ont transformé cette ancienne zone résidentielle en un quartier fantomatique, j’ai essayé de retrouver des habitants. Dans un hutong – ruelle – perdu et encore épargné, j’ai frappé chez M. Li qui, autour d’une tasse de thé vert, m’avait autrefois fait part de sa colère. M. Li n’était pas là : seul un journal glissé dans la porte témoignait que la maison est encore habitée. A l’époque, il m’avait dit : “Je suis né ici, j’y ai grandi ; cette maison, c’est toute l’histoire de ma famille. Je n’en partirai pas : j’ai investi de grosses sommes pour amener l’eau courante, construire des toilettes, pour moderniser.” Le vieux Pékinois s’indignait : “Sous prétexte de rénovation du patrimoine, on m’accuse, moi comme d’autres voisins, de vivre dans des conditions insalubres.” (Ce prétexte est invoqué par les comités de quartier pour justifier les expulsions.)

Je n’ai pas non plus retrouvé M. Zao, un ancien ouvrier de 50 ans dont le grand-père avait acheté une siheyuan – maison traditionnelle à cour carrée – avant la révolution. “Je fais de la résistance ; je ne céderai pas aux menaces des gens de la municipalité qui s’en mettent plein les poches grâce à ces opérations immobilières!”, avait martelé l’homme dans un salon encombré et délabré où les Zao s’accrochaient à leur passé. Mercredi, j’ai essayé de retrouver sa demeure mais il n’y avait plus de maison. L’endroit exsudait une nostalgie poignante, dans un décor de ville bombardée. Non loin de là, assis en solitaire sur un pliant dans une rue charmante et encore debout, un certain monsieur Hou, 80 ans passés, affichait un optimisme incertain : “Peut-être va-t-on conserver ce qui n’a pas été détruit”, avançait-il en désignant sa maison centenaire. “Chez moi, annonçait-il avec fierté, quatre générations vivent encore sous un même toit.” Un regard malicieux perçait sous ses lunettes : “On ne sait pas vraiment ce qui va se passer dans le quartier. C’est le propre des régimes à parti unique.”