23e rapport sur l’état du mal-logement en France

Introduction

Assignés au
mal-logement ?

4 millions de personnes mal-logées, 12 millions
fragilisées. Ce constat, dans sa froideur statistique, martelé par la Fondation
Abbé Pierre, est au cœur des analyses de la crise du logement (voir Les
Chiffres du mal-logement p. 198). Le gouvernement n’a d’ailleurs cessé de les
mettre en avant au cours des derniers mois, pour justifier… la baisse de
l’effort public pour le logement. « Le logement c’est presque 40 milliards de
dépense publique et 4 millions de Français mal logés, une politique qui ne
fonctionne pas », déclarait ainsi le Président de la République Emmanuel Macron
sur TF1 le 15 octobre 2017.

Au-delà du raisonnement étonnant consistant à souligner
la gravité d’un phé- nomène pour justifier un désengagement public, ces
chiffres du mal-logement doivent être analysés avec rigueur et maniés avec
précaution pour ne pas être mal interprétés, qu’il s’agisse de la photographie
du mal-logement comme de l’analyse de son évolution.

Ce signal d’alarme permanent, cet appel à la
mobilisation la plus urgente pour des millions d’entre nous dans la difficulté,
n’est pas toujours compris car il cohabite avec d’autres indicateurs plus
rassurants sur l’état du logement dans notre pays. La France construit
beaucoup, et n’a même jamais compté autant de logements vides. Les Français
n’ont jamais disposé en moyenne d’autant de m² par personne (37 m²), les ménages
n’ont jamais été aussi petits (2,35 personnes en moyenne) et leurs logements
aussi grands (86 m²). Leur satisfaction vis-à-vis de leur logement est
largement positive : 30 % jugent leurs conditions de logement « très
satisfaisantes » et 47 % « satisfaisantes ». Seuls 23 % d’entre eux
souhaiteraient en changer. La qualité du parc de logements s’améliore
rapidement, et la part des logements privés du confort sanitaire de base se
réduit comme peau de chagrin d’année en année.

Tous ces constats sont parfaitement exacts : les
Français d’aujourd’hui, en moyenne, sont incomparablement mieux logés que leurs
grands-parents de l’époque de l’appel de 1954 de l’abbé Pierre. C’est le
résultat d’une élévation géné- rale du niveau de vie de la société, mais aussi
d’un effort public financier important et constant depuis des décennies, en
particulier au bénéfice des locataires et accédants à bas revenus à travers les
aides personnelles au logement, dont la contribution à l’amélioration de la
qualité des logements des couches populaires est majeure.

L’enjeu est donc crucial de mener une description de la
crise du logement nuancée, soulignant aussi bien les succès majeurs depuis
l’après-guerre, que les failles PARTIE I I Introduction : Assignés au
mal-logement ? 13 béantes dans l’aide au logement et la dérégulation des
marchés immobiliers depuis le début des années 2000. L’objectif est bien
d’améliorer l’écosystème de la politique du logement à la française, mais sans
jeter le bébé avec l’eau du bain, en particulier les deux outils majeurs de la
solidarité dans le logement que sont les APL et les logements sociaux,
particulièrement malmenés par la nouvelle majorité (voir introduction de la
partie politique, page 216).

L’analyse du mal-logement est aussi complexifiée par la
nature du mal-logement, qui n’est pas qu’un stock à résorber à un moment donné
mais avant tout un flux continu de situations diverses qui s’améliorent ou se
détériorent. À cet égard, la photographie du mal-logement, qui fait apparaître
des tendances contradictoires selon les critères utilisés, doit se doubler
d’une prise en compte des mobilités des ménages. Or, l’aggravation de certains
aspects du mal-logement est d’autant plus inquiétante que de nombreux
indicateurs dessinent un paysage qui se fige pour les plus modestes, et des
destins résidentiels qui divergent de plus en plus selon les catégories de
revenus. Les inégalités face aux conditions de logement se doublent en bas de
l’échelle sociale d’inégalités de patrimoine et de chances de poursuivre un parcours
résidentiel ascendant, et au final d’une réduction drastique, pour soi ou ses
enfants, de l’espoir d’en sortir un jour. Comme si des millions de personnes,
en plus d’être mal-logées aujourd’hui, se voyaient assignées à le rester toute
leur vie.

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