La crise de logement qui se perpétue en Haïti…

La politique néolibérale appliquée par l’État dans
certains pays entraine de plus en plus leur désengagement vis-à-vis de leurs
responsabilités en ce qui a trait au respect des droits humains, particulièrement
le droit au logement.

Le problème de logement en Haïti a une double dimension.
Il n’est pas seulement lié à la conjoncture actuelle mais aussi il se situe
profondément dans la charpente même de notre société. Cette dernière basée
quasiment sur l’exclusion. Une exclusion qui se manifeste par la mauvaise
répartition des richesses et la privation de certains services sociaux de base.
Nombreuses sont les personnes ne disposant pas d’un logement adéquat pour
vivre. Parallèlement, les dirigeants et les dirigeantes du pays ne se montrent
pas suffisamment concernés au point de développer de véritables programmes de
logements sociaux adaptés aux besoins de la population. Cet état de fait,
affecte de nombreuses familles dans le pays qui continuent de se loger dans des
conditions déplorables. Et c’est sans exagération que certains qualifient cela de
crise du logement.

En effet, depuis la fin des années 70, avec l’établissement des Parcs industriels dans
certains endroits du pays particulièrement dans la zone métropolitaine de
Port-au-Prince, le nombre de migrants internes (des provinces à la ville) n’a
cessé d’augmenter. Rappelons que la ville de Port-au-Prince n’était pas
construite pour cet excédent de personnes venant des autres départements. Ainsi,
Haïti génère des conditions de logement qui ont toujours été très précaires.
Cette situation de crise de logement ne fait que prendre le large et s’est
dégénérée avec le passage du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Les
prétendues solutions avec de nombreux projets vis-à-vis de cette crise n’ont
pas donné de trop grands résultats. Ces projets ne font que maquiller le
problème.

Nous sommes en pleine crise de logement! Ce sont
les vrais termes pour traduire la situation actuelle en Haïti en matière de
logement. Cette crise affecte une grande partie de la population. Et cette
situation ne se résume pas seulement aux conditions de vie dans les camps, à la
manière de déplacer ou de relocaliser les personnes, à la question des
expulsions forcées, à la sécurité du logement, au respect du droit de la vie
privée, du droit à la santé, du droit de propriété et au logement. Mais elle
est beaucoup plus profonde et elle s’étend sur
plusieurs autres aspects.

La migration
des populations rurales vers les grandes villes

Vu que les infrastructures n’arrivent pas à répondre aux
besoins de la population vivant dans les zones rurales ou encore les services
sociaux n’arrivent à les atteindre; chaque année, une grande quantité de
personnes laissent les zones rurales pour envahir la zone métropolitaine de
Port-au-Prince et les principales villes de chaque département. A tel enseigne,
le nombre d’élèves qui annuellement se dirigent vers la Capitale pour
poursuivre leurs études secondaires et/ou universitaires;
et qui dans la majorité des cas, sont obligés de s’accroupir dans des espaces
non appropriés à travers la région métropolitaine de Port-au-Prince. Ce
phénomène migratoire résulte de la centralisation du pouvoir politique et de la
concentration des services de base à Port-au-Prince. D’où, une bidonvilisation
un peu partout à travers la région métropolitaine de Port-au-Prince. Donc, l’Etat
haïtien doit mettre en place un ensemble de politiques sociales visant à
résoudre tous ces problèmes d’ordre structurel.

Régularisation
du loyer et le contrôle de la question foncière

L’un des aspects important qu’il faut souligner dans la crise de logement en Haïti, c’est
l’instabilité et le désordre qui règnent dans le foncier. Bien qu’il y ait une
institution chargée de réguler la question foncière, appelée Office Nationale
du Cadastre (ONACA), cela n’empêche que chaque jour il y a des conflits
terriens dans le pays. Selon la Convention Américaine sur les droits de la
personne, chacun a le droit d’utiliser sa
propriété et d’en profiter.
La loi stipule que: «Personne
ne doit être dépossédé de sa propriété à moins de recevoir une juste
compensation, aux fins d’installation de services publics ou dans l’intérêt de
la société dans son ensemble, et dans les cas fixés par la loi et selon les
termes qui y sont prescrits
».

Il est à noter que le projet déclarant
le Centre-ville d’Utilité Publique ne restera pas sans conséquence sur la vie des
riverains. Parallèlement, il y a la question de bidonvilles qui ne cessent d’augmenter
un peu partout dans le pays. Ceci est l’un des facteurs de cette crise. Sans
aller plus loin dans les quartiers populaires où on peut constater des «logis»
d’une seule chambre, fabriqués avec des morceaux de tôle usé parfois privés
d’installation sanitaire. Ces logis sont appelés «maison» et sont partagés
généralement à plus de cinq (5) personnes.

Par ailleurs, la situation des locataires qui doivent
souvent se tracasser la tête afin de trouver une maison décente. De plus, les
gens qui vivent dans les quartiers populaires louent une maison qui généralement privée de toilettes. Ce qui
les pousse à faire leurs besoins physiologiques à
l’air libre. De ce fait, cette crise du logement a des répercussions sur
plusieurs autres secteurs tels: l’environnement, la santé… Mis à part tout
cela, beaucoup de quartiers populaires, principalement à Port-au-Prince, sont
des zones à risques. Sans oublier la situation des enfants, des femmes
enceintes, des personnes a mobilité réduite et mêmes des personnes du troisième
âge qui vivent encore sous des bâches dans des abris de fortune dans la zone
métropolitaine Donc, il faut croire
que la situation de logement en Haïti est beaucoup plus complexe que l’on
croyait. Si l’État Haïtien ne fait rien pour
donner une réponse à cette crise la génération présente et celles à venir
auront à subir les conséquences.

Face à tout cela, que faut-il faire pour remédier à cette
crise de logement qui occasionne de nombreuses violations de droits humains? La Plate-forme des Organisations
Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) croit
que la crise de logement pourrait se traduire par
l’expression très courante chez nous: «sa se yon malè pandye
sou peyi a» et elle peut entrainer d’autres violations de droits humains.
Il est de l’obligation de l’Etat d’agir au plus vite pour empêcher des dégâts
énormes que pourra causer cette crise. C’est ainsi que la POHDH propose à
l’Etat Haïtien de:

1)
Prendre
toutes les dispositions légales et respectueuses de la dignité humaine en vue
de procéder au déplacement définitif des personnes vivant encore dans les camps
et les zones à
risque vers des logements sécurisés;

2)
Définir et mettre en
œuvre une politique globale de logement garantissant à toutes les familles, leur
droit de vivre dans une maison décente respectant
leur dignité comme être humain;

3)
Définir une politique
d’aménagement du territoire national et de redistribuer la terre comme étant la
principale source de richesse du pays;

4)
Réguler la question du loyer qui, depuis
plusieurs années, prend une grande envergure dans le pays;

5)
Favoriser le
déplacement des personnes à mobilité réduite dans toutes nouvelles constructions
de maisons;

6)
Rendre la
décentralisation et la déconcentration effectives dans tout le paysselon
les vœux des articles 63 et 64 de la Constitution Haïtienne;

7)
Créer des conditions adéquates
pour que les paysans puissent vivre dans les provinces
sans être
obligés de se déplacer ailleurs pour trouver les services de base
nécessaires;

8)
De fournir un logement
décent quand les individus ne sont pas en mesure d’en trouver eux-mêmes;

9)
Prendre des
dispositions immédiates pour mettre un terme à la discrimination en ce qui concerne
l’accès au logement;

10)
Respecter le droit des
personnes pour participer au processus de prise de décisions relatives à leur
droit au logement et leur permettre de construire des logements répondant à
leurs besoins;

11)
S’assurer que le coût
du logement est financièrement abordable;

12)
Fournir l’accès à des
terrains constructibles;

13)
Assurer la fourniture
et la maintenance des services publics tels: routes, santé, eau potable,
assainissement et autres.

Port-au-Prince, 27 septembre 2013

Antonal MORTIMÉ
Secrétaire Exécutif
Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH)
Site Web: www.pohdh.org

* Pour
télécharger le document en pdf, cliquez ici.