Phnom Penh s’abandonne à la frénésie immobilière

Phnom Penh s’abandonne à la frénésie immobilière

Partout dans la ville, des immeubles en construction affichent leurs façades bardées d’échafaudages de bambous où des ouvriers s’activent avec un sens impressionnant de l’équilibre. Les trottoirs sont encombrés de tas de terre excavée et d’empilages de briques. Des immeubles d’appartements tout juste achevés vantent leur «atmosphère tropicale» ou leur «nouveau concept d’espace de vie» pour attirer les clients. La fièvre immobilière s’est emparée de la capitale cambodgienne, Phnom Penh.

«Des milliers d’appartements sont en construction, et ils se vendent très rapidement. Toute la ville est en chantier», confirme Dith Channa, directeur des ventes de la firme immobilière CPL Properties. Le paysage urbain de Phnom Penh, dont le charme réside dans la préservation de l’architecture ancienne et l’absence de développement vertical, va en être bouleversé. Une firme sud-coréenne a posé, en mars, la première pierre de la Golden Tower 42, un immeuble d’appartements de grand luxe, haut de 42 étages, qui sera le premier gratte-ciel de la ville. Une dizaine de projets similaires sont également en préparation. Les prix des terrains ont flambé, passant de 500 dollars (320 euros) le mètre carré en 2006 à environ 3 000 dollars (2 000 euros) aujourd’hui et alimentant une spéculation immobilière effrénée.

Corruption. Le boom s’explique en partie par le retour à une certaine stabilité politique, laquelle a redonné confiance aux investisseurs étrangers, notamment sud-coréens, et également chinois et australiens. Mais l’essentiel de l’argent investi vient des Cambodgiens. «Beaucoup d’argent circulait dans le pays mais il n’avait pas de rendement important. Comme le Cambodge n’a pas d’industrie, l’immobilier est l’une des rares opportunités d’investissement», indique le directeur d’une firme européenne. Une partie de cet argent, précise-t-il, est sans doute liée à la forte corruption au sein de l’administration.

Du fait du prix élevé des terrains, beaucoup des Cambodgiens ordinaires, qui s’étaient installés dans des villas du centre-ville après la chute du régime khmer rouge en 1979, ont du mal à résister à la tentation. «Ils vendent leur terrain et vont s’installer à la périphérie où ils paient moins cher et peuvent s’acheter une voiture», affirme Sung Bonna, directeur de l’agence immobilière Bonna Realty. Mais d’autres méthodes, beaucoup plus expéditives, sont utilisées pour déplacer les communautés qui vivent sur des terrains visés par des promoteurs immobiliers, comme à Dey Krahorm, un bidonville situé dans le sud-est de Phnom Penh, où une firme envisage de bâtir un immeuble de 45 étages.

«Des employés de la firme sont venus avec un bulldozer et ont écrasé les échoppes ambulantes des résidents», indique Manfred Hornung, de l’ONG de protection des droits de l’homme Licadho. Torse nu, une écharpe traditionnelle khmère autour de la tête, Ung Phon, un résident de Dey Krahorm, explique que la firme tente de le forcer à vendre son terrain pour un prix dix fois inférieur à sa valeur réelle. «J’ai un titre de propriété reconnu par le chef de quartier. Je ne veux pas vivre loin de Phnom Penh car mes enfants étudient ici.»

Eviction violente. Selon Nally Pilorge, directrice de Licadho, dix-neuf communautés à Phnom Penh sont menacées d’expulsion pour laisser place au développement immobilier. En juin 2006, lors d’un cas d’éviction particulièrement violent, 700 membres de la police militaire ont détruit les cahutes de la communauté de Sambok Chap et ont transporté les habitants à une trentaine de kilomètres de Phnom Penh, les abandonnant au milieu des rizières.

«Ici, il n’y a pas d’eau potable. Nous devons boire l’eau de l’étang. Les enfants attrapent souvent mal au ventre», indique Svay Nouv, une mère de cinq enfants qui vit sur le nouveau site. Parmi ces déplacés, beaucoup doivent se rendre quotidiennement à Phnom Penh pour tenter d’y trouver du travail. «Le gouvernement devrait préparer les sites de déplacement avec tous les services publics – école, électricité, eau potable… Nous respectons le développement immobilier, mais il faut établir un équilibre entre celui-ci et les conditions de vie des Cambodgiens», considère Phann Sithann de l’ONG Housing Rights Task Force.

Vidée de ses communautés les plus pauvres au nom de «l’embellissement», le centre de Phnom Penh devient progressivement le lieu de résidence des riches et des privilégiés. Selon Sung Bonna, de Bonna Realty : «Le Premier ministre Hun Sen a comme vision future de Phnom Penh, celle d’une ville moderne, pleine d’hommes d’affaires et d’investisseurs…» A l’image de Singapour ou de Bangkok.

Envoyé spécial à Phnom Penh ARNAUD DUBUS pour Libération
lundi 5 mai 2008