Pour un service public de l’habitat

Le conseil économique et social national vient de rendre public le rapport sur le logement Outre-mer, rédigé par Marie-Claude Tjibaou. Il en ressort que les besoins sont estimés pour les régions, les pays et les collectivités à 100.000 logements aidés minimum. Actuellement, près de 10.000 logements, dont 4.000 à 5.000 logements locatifs sociaux et très sociaux, sont financés annuellement.

Synthèse.

Au besoin quantitatif viennent s’ajouter des difficultés propres à l’Outre-mer. Les conditions climatiques, les modes de vie et les cultures spécifiques à chaque territoire imposent de ne pas plaquer de façon artificielle les schémas de la métropole. La rareté et le prix des terrains constructibles, les risques naturels, la fragilité écologique des milieux ultramarins et le retard des équipements structurants sont autant de facteurs qui viennent compliquer et renchérir la construction de logements.

Les populations à loger sont souvent modestes, voire très modestes ; c’est pourquoi l’habitat social ou très social doit être privilégié Outre-mer. Il faut résorber des poches importantes d’habitat insalubre, soit qu’il se crée de façon spontanée, soit qu’il provienne de la dégradation de l’habitat ancien. La réponse est souvent celle de quartiers d’habitat exclusivement locatif, recréant ainsi Outre-mer les quartiers à problèmes de la métropole et suscitant la réticence des élus.

Les habitants souhaitent pourtant pour beaucoup l’accession à la propriété, et des conditions d’habitat adaptées à leurs modes de vie et à leurs coutumes. Le CES s’interroge : Peut-on proposer des solutions propres à satisfaire ces attentes ? Quels instruments mettre en place ?

Efforts et besoins

La croissance continue qu’ont connue ces dernières années les territoires de l’Outre-mer ne suffit cependant pas à faire baisser des taux de chômage élevés. Le développement urbain accéléré rend encore plus évident le nécessaire rattrapage en matière d’aménagement du territoire et d’accès au logement. L’insertion des populations les plus fragiles constitue un véritable enjeu de cohésion sociale, car l’habitat spontané et bien souvent précaire reste d’actualité et impose la reconquête des centres-villes et des centres-bourgs.
Dans l’accès au logement, le rapport du CES évoque des avancées significatives : l’aide à la pierre via la ligne budgétaire unique (LBU), mais aussi les aides directes et indirectes des différentes collectivités ont permis d’engager de vastes opérations immobilières dans le secteur social. Les différents régimes de défiscalisation ont également favorisé le développement d’une catégorie de logements sur le marché libre.
L’effort de l’État contribue au maintien d’une importante production de logements qui permettent l’accès aux plus modestes. Cependant cet effort reste bien en deçà des besoins annuels, qui doivent conjuguer production neuve et réhabilitation de l’habitat ancien. La difficulté à trouver du foncier aménagé est souvent une cause de non consommation des crédits.

Le passage progressif pour certaines familles d’un habitat précaire à un logement “moderne” rend nécessaire un travail soutenu d’accompagnement social, dans un objectif d’autonomie des familles.

Service public de l’habitat
L
es expériences réussies de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) dans la résorption de l’habitat insalubre devraient être généralisées dans toutes les opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI), mais aussi dans les autres opérations immobilières, comme moyen d’associer les habitants. Ils s’approprieraient ainsi pleinement ces opérations dès leur conception, mais aussi dans leur gestion quotidienne, car elles conditionnent le cadre de vie immédiat de ces mêmes habitants.

Les besoins en logements restent conséquents, malgré les efforts de l’État et des collectivités. En outre, les situations évoluent rapidement et exigent des réponses adaptées. Or plusieurs ministères, des opérateurs multiples, des outils de financement diversifiés interviennent dans ce secteur, sans concertation et lisibilité suffisantes.
La satisfaction de ces besoins et la mise en œuvre d’un véritable droit au logement passent par la mise en place d’un véritable service public de l’habitat, chargé de mettre en synergie les différents acteurs et les différentes politiques tout au long de la chaîne de l’hébergement au logement.

Cela suppose que l’effort budgétaire de l’État soit impérativement conforté. Cela implique également une poursuite de la baisse du taux d’effort des ménages concernés par l’allocation logement, dans les régions d’Outre-mer.

Le CES propose également de reprogrammer la LBU, jusqu’ici bridée par la pénurie de foncier aménagé disponible. La programmation devrait être faite sur une base pluriannuelle, elle-même articulée sur une programmation foncière pluriannuelle. Enfin la LBU devrait mieux prendre en compte la surcharge foncière, notamment pour les opérations de logement social qui posent des difficultés d’équilibre financier, car situées en centres-villes et en centres-bourgs. Pour les Pays et Collectivités d’Outre-mer, cela pourrait être inscrit dans les contrats d’objectifs qu’ils passent avec l’État.

Autre souhait : augmenter les moyens pour l’aménagement foncier, dédié à l’habitat social. Outre-mer, une première difficulté est de mobiliser du foncier disponible pour l’habitat. Il s’y ajoute les coûts d’équipement et d’aménagement, quelle que soit la destination finale du foncier aménagé. Pour le logement social, les plafonds de prix et les loyers de sortie ne sont pas toujours compatibles avec ces surcoûts.

Des moyens particuliers doivent être dégagés en urgence pour l’aménagement et l’équipement foncier des terrains destinés au logement social, dans les contrats de plan État-Région, et de façon à permettre la mobilisation des fonds structurels européens.

Blocages

Comme en métropole, les prêts accordés par la CDC (Caisse des dépôts et consignation) doivent faire l’objet d’une garantie apportée par les collectivités locales ou la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Mais les collectivités ne peuvent – ou ne veulent – plus accorder leur garantie, car elles ont dépassé leurs “plafonds”, ou détérioré leurs ratios de risques, et certains organismes constructeurs ont dépassé leurs plafonds de garanties auprès de la CGLLS.

À l’image du guichet unique instauré en Guadeloupe, un fonds de garantie régional regroupant les différentes collectivités devrait permettre de mieux équilibrer la répartition du risque. Ce fonds, doté de ressources propres, serait complémentaire de la CGLLS.
Le Conseil économique et social estime souhaitable une évolution des modes de financement du logement social qui permette de s’adapter à la complexité de chaque opération, et d’arriver à la diversification souhaitée de l’habitat. Il est plus difficile et plus onéreux de résorber des “dents creuses” ou de restructurer des îlots en centre-ville, que de faire une opération strictement locative dans les champs de canne à sucre ; il est également plus difficile et plus onéreux de mener des opérations complexes, mixant divers statuts locatifs et en accession. Des avantages fiscaux, venant compléter ceux déjà accordés, des majorations de prêts pourraient ainsi être envisagés.

Mixité et la cohésion sociales

S’il convient de continuer à produire du logement locatif social et très social, une fraction de la population ultramarine se trouve exclue de l’accession à la propriété, les prix sur le marché libre dépassant largement ses capacités financières, et est également écartée du logement locatif social pour cause de dépassement de plafond de ressources.

Dans les régions comme en métropole, l’apparition pour cette clientèle intermédiaire de la location accession, avec exonération de TFPB et TVA au taux réduit, devrait permettre de satisfaire cette demande. Dans les Pays d’Outre-mer, disposant de la spécialité législative, un produit d’accession bénéficiant d’une fiscalité allégée ou d’une bonification des taux d’intérêt des prêts devrait répondre à cette attente.

Cette diversification des produits d’accession à la propriété sociale permettrait de mener des opérations mixtes, location et accession, évitant la formation de ghettos sociaux, et répondant à la demande des élus locaux.

L’étalement urbain des villes de l’Outre-mer pose aujourd’hui la question de la reconquête des centres-villes et des centres-bourgs. La modicité des moyens qu’elles peuvent y consacrer handicape l’effort des collectivités locales en ce sens.

À l’occasion du bilan qui devra être dressé en 2005 sur la situation financière de ces collectivités, le Conseil économique et social souhaite que les éventuels ajustements soient rapidement opérés pour tenir compte des spécificités de l’Outre-mer.

Des mesures de défiscalisation complémentaires pour grosses réparations et gros entretien, la mobilisation des moyens de l’ANRU pourraient également être envisagés.

Source: Temoignages.